QDA: Mélancolie de la consolation

Aurélie Barnier, Le Quotidien de l'Art , 11 May 2023

Il est primordial pour un artiste de disposer d’un texte critique de qualité sur son travail. C’est le souhait d’encourager ce format d’écriture qui est à l’origine des bourses Ekphrasis, lancées par l’ADAGP en association avec l’AICA France et le Quotidien de l’Art : elles ont pour objet de mettre en relation 10 artistes avec autant de critiques. Les textes des 10 lauréats de cette deuxième édition (dotés chacun de 2 000 euros, couvrant la rédaction du texte et sa traduction) sont publiés au long de l’année dans le Quotidien de l’Art, au rythme d’un par mois. Dans cette sixième livraison, Aurélie Barnier se penche sur le travail de Laurent Pernot. 

 

Par un regard aussi lucide que tendre sur l’existence et une attention portée au sens des images-objets et des mots, comme aux contextes de création, aux matériaux et aux gestes, Laurent Pernot déploie une mélancolie de la consolation, métamorphosant la défaite en une fête !

 

La question du temps incommensurable écoulé depuis les origines de l’univers intrigue l’artiste dès l’enfance et irrigue continuellement son travail. Il y a dans ses œuvres allant de la photographie à la vidéo, de la sculpture à l’installation ou la peinture, un rapport multiple, à la fois complexe et sans détour, à la durée. S’y déplient les temps de la pensée et de la mise en œuvre, mais aussi le temps du regard du spectateur. Ainsi devant We are miserable, but love suddenly, saves us (2022), doit-il déchiffrer le double message, celui du tout et celui des seules lettres de néon : "We love us". S’invitent aussi le temps futur dans "Somewhere someday we will meet again" (2020) ou "Over the seas of future times" (2021) et même une temporalité incertaine, reconstituée par des images d’époques et lieux divers, fondues en une photographie intitulée "Le temps égaré" (2007).

 

Mémoire, archive et trace sous-tendent la démarche artistique de Laurent Pernot, s’adonnant à une lutte pugnace et délicate contre l’oubli, l’irréversibilité de l’instant, et tout de go pour le droit à l’oubli (au moins provisoire s’il s’agit de se mettre à l’abri) et la promesse d’un avenir retrouvé. Ainsi affirme-t-il "On ne vous oublie pas" dans 82 jours à l’Armurier (2018), pièce installée sur un lieu de refuge de Léon Blum en 1940. La temporalité du lieu de création ou d’exposition, son histoire, comptent en effet dans L’éternité devant soi, sculpture implantée en 2022 sur le site archéologique de Glanum, et jusque dans le choix des matériaux pour "Mulet" (2011), réalisée au Brésil en pierre à savon du Minas Gerais. Les ruines, en tant que vestiges éternellement prestigieux ou rebus enfouis et leur écho romantique, nourrissent nombre de ses œuvres telles "Antinoüs, Antinoüs" ou "Diotima" en 2021. Malgré l’usage du marbre, matériau lui résistant, le temps ruinera toutefois la jeunesse des amants enlacés des Contemplations II (2022), comme il en fut des sujets de photographies vernaculaires collectées de puces en brocantes et utilisées pour la vidéo "Still alive" (2005).

 

La force de l’amour et de la tendresse s’affirme tant dans la matière (néon, lettrage doré) que dans les titres des œuvres. Il appelle en effet de plus en plus la couleur dans son travail, déjà en 2016-2017 avec Even black turns colours et plus récemment dans Les Contemplations I et II, série de peintures incrustées de marbre, présentée en septembre 2022 à la galerie Marguo à Paris, où l’on observe la minutie des compositions, la mise en place infiniment précise de chaque élément retenu. À travers ces formes mémorielles, plus que la destruction, Laurent Pernot invite à regarder en face la dégradation pour en esquisser le dépassement, des lendemains qui chantent comme les cendres d’un oiseau (Le chant du silence, 2020) ou comme Antinoüs noyé mais protégé par le visage d’un être aimé ici et maintenant. Si la cendre est l’ultime résidu de ce qui a été, le carbone qui la constitue étant essentiel à la formation du vivant, elle symbolise à la fois la finitude et la promesse de vie, ce qui reste, et ce qui restera.

 

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